Jeune, je viens te parler d'un temps que tu n'as pas connu... La fin du XXème siècle, les années 80 et la découverte d'un groupe. Cette période passait tranquillement au son des années collège puis lycée… A cette époque je ne vivais pas sans mon Walkman Aiwa noir, et j’étais très fier de mes oreillettes et du Bass booster alors que d’autres avaient encore des casques à mousse orange à la con.
Je tournais en rond musicalement… Thiéfaine, Ludwig, Yes, Peter Gabriel, Public Image Limited, Whitesnake, les guitar-heros (quelle connerie cette appellation…) comme Steve Vai, Joe Satriani, Yngwie Malmsteen, je plonge la tête la première dans Frank Zappa, j’écoute toujours autant les Pink Floyd et je crache volontiers sur U2 qui était de moins en moins catholique… Les Cure se cassaient la gueule de plus en plus et rien ne bougeait, la musique était à l’image du bahut : chiante, très chiante…
Et puis un beau jour de 1988, je vais chez mon disquaire (à l'époque ça existait encore...) je fouille les bacs à 33 tours rangés par ordre alphabétique… J’en arrive à la lettre « P », j’avais l’argent pour m’acheter « Atom Earth Mother » des Pink Floyd, mais je trouve, calé entre deux disques d’eux, un LP avec une photo sépia d’une gitane, la poitrine dénudée et un nom écrit juste à côté de l’étiquette import : "Pixies" et "Surfer Rosa"…
Premier réflexe du jeune de 17 ans? Bloquer sur la photo… Bien sur, à l’époque, même si les cd commencent à nous envahir, on se rend compte de la beauté de la pochette d’un 33 tours (et la madame à forte poitrine n'y est pas étrangère...). Et même écouter un cd était un évènement… Je regarde les titres au dos de la pochette : "Bone Machine", "Broken face", "Where is My Mind", "You fuckin’Die ! I Said"… Il y avait un truc qui chiffonnait entre les titres, la photo sépia, et la calligraphie du nom de ce groupe.
Je vais voir le vendeur, un peu rouge vu la pochette et je lui demande ce que c’est comme style… Lui me répond qu’il ne sait pas trop, que son boss n’est pas là et vu que c’est un import il n’ouvrira pas le disque pour me faire écouter. Je prends l’album que, bien entendu, je paye plus cher, au risque de ne pas aimer et de le regretter amèrement… Bin ouai quoi, mettre deux mois d’argent de poche dans un 33 tours qu’on risque de ne pas aimer c’est limite inconscient non ? Internet n’existait pas et trouver des infos sur les groupes, surtout en import, c’était la croix et la bannière… C’était une autre époque vraiment…
Je rentre chez moi, me questionnant et me demandant si je ne devais pas le changer… Et puis je me résigne… Je vais dans ma chambre, branche l’ampli, la platine disque Technics, je sors le vinyle de l’emballage, je le pose délicatement, et j’appuie sur le bouton lecture… Le bras s’approche et le diamant vient se poser… Le souffle et le craquement dans les enceintes se font entendre (mince ça fait une éternité que j’ai pas entendu ce son…) et là la claque… Premier titre : "Bone Machine"… Une batterie martiale, une basse forte, pesante, un mid tempo qui prend de partout, un son de guitare saturée jamais entendu auparavant même chez les punk, une voix qui parle dans l’urgence, un refrain à plusieurs voix et d’un seul coup une voix féminine qui le clôt par « Your bones got a little machine, You're the bone machine » avant la reprise du chorus…
Et tous les titres s’enchaînent, un par un, claques sur claques… Et puis "Gigantic" arrive, je regarde les crédits, Kim Deal chante le morceaux… C’est la bassiste… Sur les autres ? Black Francis… L’album s’achève, je le repasse encore et encore et encore… Je l’enregistre sur cassette, j’en use la bande…
Depuis, « Where Is My Mind » est apparu dans les films « Le poulpe », sur le générique de fin de « Fight Club », a été reprise par Placebo, Nada Surf et sert de bande son à une pub… Il n’y a pas de petits profits… "Surfer Rosa" a été ensuite réédité avec leur premier EP "Come on Pilgrim", les albums se sont enchaînés tous meilleurs les uns que les autres, et un autre groupe, influencé (entre autre) par eux allait percer quelques années plus tard : Nirvana
Je finis par trouver des photos du groupe, pensant tomber sur des punks sur le retour, je me retrouve face à des gens qui me ressemblent. Pas d’artifice, pas de fringues qui arrachent… Jeans, baskets, chemise, des étudiants ricains de Venice… Ce groupe et ce son me ressemblait… Je n’ai pas décroché depuis…
Ensuite? Le groupe a splitté, Kim Deal avec sa jumelle a formé les Breeders, David Lovering le batteur est devenu prestidigitateur, Joey santiago joue un peu partout et Black Francis est devenu Franck Black et a sorti plusieurs albums sous son nom ou avec les Catholics…
Les Pixies se sont tout de même reformés pour une tournée interminable juteuse sans nouveauté ni saveur... La magie n'est plus là...
Voilà Jeune, je te fout la paix avec mes souvenirs de dinosaure et te laisse retourner écouter de la musique numérique ultra compressée sur You Tube et Deezer... D'ailleurs je vais faire la même chose...